L’interdiction du recours aux services sexuels (en bref : interdiction d’achat de sexe) pour protéger les travailleurs du sexe fait l’objet d’un débat politique animé. Cependant, les experts des associations professionnelles et des services de conseil sont largement d’accord pour dire que l’interdiction de l’achat de services sexuels ferait plus de mal que de bien aux prostituées.

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Les dangers d’une interdiction d’achat de sexe

La prostitution est un métier délicat, où la traite des êtres humains, l’exploitation et la violence sont monnaie courante. D’où la question : quelles sont les possibilités de mieux protéger les travailleurs du sexe en Allemagne ? Pour certains députés du Bundestag issus de différents partis, c’est évident : avec une interdiction de l’achat de sexe.

Des experts d’associations professionnelles et de centres de conseil critiquent cette initiative. Ils affirment qu’une criminalisation de la prostitution n’aurait pas l’effet escompté. Dans un rapport présenté à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, , des alternatives raisonnables sont présentées dans le débat sur la base d’études.

Mais quels sont les risques d’une interdiction de l’achat de sexe ? Le risque le plus important est l’augmentation de la violence envers les prostituées. C’est ce que montre une étude de la Queen’s University de Belfast, qui conclut que l’interdiction d’achat de sexe introduite en Irlande du Nord en 2015 a augmenté de plusieurs centaines de pour cent la fréquence de pratiques telles que les menaces, le harcèlement et le refus de payer.

D’autres études montrent clairement que la criminalisation de la prostitution entraînerait une augmentation de l’exploitation des travailleurs du sexe. Au lieu de pratiquer le travail du sexe dans des lieux de travail contrôlables, on assisterait à un refoulement et à un isolement, ce qui déplacerait l’amour vénal dans un milieu illégal. Il serait plus difficile pour les prostituées de prendre des mesures de sécurité. Selon Johanna Thie, conseillère spécialisée “Aides pour les femmes” de l’association Diakonie Deutschland – Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung e. V., ce sont surtout les minorités telles que les migrants, les personnes trans ou les consommateurs de drogues qui seraient négativement touchées.

En outre, selon plusieurs études, le risque d’infection par le VIH ou d’autres maladies sexuellement transmissibles serait multiplié par deux. De plus, la position des prostituées serait affaiblie, car une interdiction d’achat de sexe représente toujours une sorte de mise sous tutelle et on leur dénierait ainsi la capacité d’agir de manière responsable.

Claudia Zimmermann-Schwartz, vice-présidente de la Fédération Française des femmes juristes, explique : “Selon la Cour constitutionnelle fédérale, la prostitution relève de la liberté professionnelle protégée par la Constitution. La prétention de vouloir protéger les gens ne justifie pas la violation des droits fondamentaux”. Une interdiction de l’achat de sexe ne serait donc pas compatible avec la Constitution Française, ne serait-ce que parce qu’elle concerne aussi ceux qui exercent cette activité.

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Plus d’acceptation pour les travailleurs du sexe

Quelles sont les alternatives et quelles seraient les mesures appropriées à la place ? Sven Warminsky, directeur de l’association Française de lutte contre le sida, estime qu’il faut créer plus d’acceptation et de respect pour les travailleurs du sexe. Ce n’est que si la profession est reconnue par la société que l’on peut imaginer des conditions de travail plus sûres et le recours à la prévention et aux offres d’aide.

L’accent est mis sur le droit à l’autodétermination de l’individu quant à ses conditions de vie et au choix de sa propre profession. Les travailleurs sociaux ou les conseillers doivent accepter et respecter les besoins et les choix des prostituées dans leur travail social, sans tomber dans un mode de paternalisme. De cette manière, il serait possible d’assurer une meilleure protection des victimes de la violence, de l’exploitation et de la traite des êtres humains.

Développer des conditions de travail sûres

“La prostitution et la traite des êtres humains ou la prostitution forcée doivent être considérées séparément. Il y a des femmes qui gagnent leur vie de manière autonome en se prostituant. La traite des êtres humains, en revanche, est une violation des droits de l’homme”, explique Susanne Kahl-Passoth, vice-présidente du Conseil Français des femmes. C’est pourquoi, selon elle, interdire l’achat de sexe et empêcher les travailleurs du sexe d’exercer leur métier n’est pas la bonne mesure. Ce qu’il faut faire, c’est promouvoir le développement de conditions de travail sûres.

Andrea Hitzke, directrice de l’association Dortmunder Mitternachtsmission e.V. – Beratungsstelle für Prostituierte, demande plus d’offres d’aide pour les personnes concernées. Cela comprend aussi bien des services de suivi médical, par exemple en cas de grossesse, que des offres de prévention comme la vaccination contre l’hépatite A et B ou des tests anonymes de dépistage des maladies sexuellement transmissibles. Cela inclut des conseils spécialisés qui peuvent répondre à chaque demande de manière spécifique et avec des mesures individuelles.

Claudia Rabe, coordinatrice de contra – service de lutte contre la traite des femmes dans le Schleswig-Holstein au sein de l’œuvre des femmes de l’Eglise du Nord, explique : “Il ne fait aucun doute que les personnes concernées par la traite des êtres humains, l’exploitation et la violence doivent être mieux protégées. Il faut par exemple des droits de protection étendus indépendamment des questions de séjour, un droit de refus de témoigner pour les conseillers et la disponibilité de centres de conseil spécialisés sur l’ensemble du territoire”. En outre, il est nécessaire non seulement de mettre à disposition des fonds pour financer davantage de centres de conseil spécialisés, mais aussi de créer des logements pour héberger les victimes de violence issues du milieu de la prostitution.

Pour faciliter la mise en œuvre des points mentionnés, les experts estiment que la protection des travailleurs du sexe ne doit pas être un problème spécifique à chaque Land. Il faut travailler ensemble dans tous les Länder et promouvoir des concepts de coopération interdisciplinaires afin d’offrir aux prostituées un environnement de travail sûr.

Un cadre légal et des offres de soins plutôt qu’une interdiction de l’achat de sexe

La prise de position doit montrer aux politiciens qu’une interdiction de l’achat de sexe ne serait pas le Saint Graal pour la protection des travailleurs du sexe, mais qu’elle aurait plutôt l’effet exactement inverse. Néanmoins, les prostituées doivent être protégées contre la violence, l’exploitation et la traite des êtres humains. C’est pourquoi il est important de faire avancer le développement d’un environnement de travail sûr et de renforcer l’acceptation de la profession dans la société.

Outre les conditions-cadres légales, les prostituées doivent avoir accès à des offres de conseil et d’aide ainsi qu’à des soins médicaux – toujours adaptés à leur situation individuelle. C’est la seule façon de garantir que les prostituées soient suffisamment protégées.